L’un des aspects les plus marquants de ce plan est son ambition assumée de reconquête technologique. Après des années de restrictions sur l’exportation des puces avancées destinées à freiner la montée en puissance de Pékin, Washington change de posture : il ne s’agit plus de contenir, mais de dominer. Pour cela, Trump veut imposer la technologie américaine comme standard mondial, du modèle d’IA au semi-conducteur, en passant par les outils de conception. Une vision mercantile et stratégique, assumée comme telle par des figures comme Jensen Huang, Nvidia, ou David Sacks, le nouvel idéologue technologique de l’administration.
En miroir, ce plan porte une offensive idéologique forte : « dépolitiser » les modèles d’IA. Entendez : les aligner sur les normes culturelles conservatrices de la nouvelle majorité américaine. Derrière la promesse de neutralité, c’est en réalité une entreprise de normalisation qui vise à délégitimer les approches jugées « woke », souvent associées à une sensibilité sociale, inclusive ou écologiste, c’est-à-dire, pour beaucoup d’Européens, le simple respect des droits fondamentaux.
Ce glissement n’est pas anodin. Car il pose une question frontale à l’Union européenne : quelle boussole voulons-nous suivre dans l’ère de l’intelligence artificielle ? Celle d’un marché dérégulé, géopolitiquement instrumental, où la liberté d’expression devient prétexte à la désinformation et à l’effacement des minorités ? Ou celle d’un modèle éthique, transparent, centré sur les droits et sur l’intérêt général ?
Dans ce contexte, face à cette offensive américaine, l’Europe doit sortir de sa posture défensive et assumer un cap clair. La question n’est pas de choisir entre réguler ou développer de nouvelles capacités, il s’agit de défendre nos standards européens, de garantir la pérennité de nos régulations, et de préserver notre indépendance en bâtissant les infrastructures qui la rendent possible. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons protéger notre modèle et nos valeurs.